Rencontre avec les garde-frontières de l'Allemagne de l'Est.

Thierry Noir et Christophe Bouchet et leurs "Hommage à Marcel Duchamp".
"Cela a été une des plus grande peur de ma vie" dit encore Thierry Noir aujourd'hui. Il faut dire qu'il était absolument interdit de peindre sur le mur de Berlin. Le mur était en effet construit environ 5 mètres en retrait de la vraie frontière qui divisait Berlin Est et Berlin Ouest, ce qui autorisait les garde-frontières de l'Allemagne de l'Est de passer de l'autre coté du mur à tout moment s'ils le désiraient. Le mur était gardé jour et nuit.
Le 16 mai 1984, Thierry Noir et Christophe Bouchet voulaient fixer sur le mur avec des visses et chevilles, une porte en métal, une ancienne porte de cave abandonnée près du mur, le long de Bethaniendamm à Berlin-Kreuzberg.
La porte devait trôner entre les 2 grands sphinx jaunes peints sur le mur, par les 2 artistes français, une semaine auparavant. Elle devait symboliser la porte du paradis. Il avait fallu 4 personnes pour la transporter jusqu'à coté du mur, tellement cette porte était lourde. Une équipe de la télévision de Berlin (SFB) voulait venir vers 5h30 du matin pour conclure un reportage sur les nuits berlinoises, et filmer les 2 artistes en train de peintre le mur au lever du jour et de poser la fameuse porte du paradis. Tout était prévu pour le tournage.
Quelques jours plus tôt Noir et Bouchet avaient déjà peint une centaine de mètres du mur et aussi installer sur le mur le long de la rue Bethaniendamm, un lavabo, une paire de chaussures et un pissoir. Tout cela en hommage à Marcel Duchamp qui en 1917 avait exposé un pissoir et fait un énorme scandale en présentant ce pissoir comme une fontaine.
La peinture sur le mur avait commencé déjà fin avril de la même année pendant une nuit de pleine lune. Les premières peintures de Thierry Noir, voyaient le jour sur le mur de Berlin. Un murmure se faisait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs, apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg).
Il y avait à cette époque très peu de peintures sur le mur gris de 3 mètres 60 de haut. Juste des slogans mêlés les uns sur les autres.Au début Thierry Noir et Christophe Bouchet avaient beaucoup de difficultés avec les peintures du mur. Pour éviter les questions et souvent les insultes ils avaient peint les premières peintures pendant la nuit. En effet on racontait aussi beaucoup de légendes sur le mur si bien que les 2 artistes avaient peur de se faire attraper par les garde-frontières et de se faire arrêter puis emmener à Berlin-Est pour être interroger.
Voilà comment la devise des artistes du mur fut créer: Un oeil qui peint pendant que l'autre doit faire attention aux soldats. 2 idées 3 couleurs, vite on mélange le tout et la peinture est finie. Noir et Bouchet commencèrent ce 16 mai 1984 a approché ce slogan de la réalité avant de le perfectionner par la suite.
L'équipe de SFB avait installé des grosses lampes halogènes pour éclairer l'installation de la porte. Il fallait aussi percer 4 trous dans le béton du mur avec une perceuse électrique. L'action était presque terminée quand tout a coup quelqu'un de l'équipe de la télévision cria:"Attention tout le monde, arrêtez tout!"
En effet on voyait la tête d'un soldat de la RDA qui regardait par dessus le haut du mur. L'équipe de la télévision décida d'arrêter tout de suite le tournage pendant que les 2 peintres rangeaient les pinceaux, les boites de peintures, les échelles et la perceuse.
Après que la télé fut partie, 4 soldats garde-frontières grimpèrent à l'aide d'une échelle de fer sur le haut du mur puis après une courte pose sur le dessus du mur rond, ils descendirent tous les 4 pour constater les "dégâts".2 soldats étaient armés de mitraillettes, le 3eme était le chef et donnait des ordres. Il y avait aussi un photographe qui prenaient sans arrêts des photos des peintures et des objets déjà fixés sur le mur.A partir des fenêtres du centre de jeunes "Georg von Rauch Haus" où habitaient Noir et Bouchet on pouvait voir que les garde-frontières avaient déployé, dans le no man's land qui était derrière le mur, un nombre impressionnant de véhicules de toute sortes. La maison était à 10 mètres du mur.
Michel Folco un photographe de Paris travaillant pour le mensuel Actuel habitait aussi dans le centre de jeunes. Il fut réveiller et pris aussi beaucoup de photos des soldats.On pouvait voir comment les 2 photographes se prenaient en photos l'un l'autre par dessus la frontière virtuelle le long du trottoir de Bethaniendamm. Les 2 appareils à 20 cm l'un de l'autre.
La pure absurdité à 6 heures du matin. Etait-ce le début d'un conflit Est-Ouest où bien le début d'une guerre éclaire? Heureusement le conflit resta local. Les éclairs sont restés les flashs des appareils photos.Les soldats confisquèrent tous les objets de Noir et Bouchet et les transportèrent avec peine par dessus le haut du mur. La porte en métal, fut particulièrement difficile à soulever et resta un moment en équilibre sur le mur hésitant: Est? Ouest? Est?? Finalement elle bascula du coté est, dans un énorme fracas.
Pour Noir et Bouchet ce fut le signal évident qu'il n'était plus nécessaire de peindre la nuit. A partir de ce jour les soldats de la RDA savaient qui peignait le mur, et Noir et Bouchet savaient comment se comporter en cas de danger. Ne jamais peindre seul et toujours avoir des témoins autour de soi.
Michel Folco glissa sur un objet sur le sol pendant qu'il prenait les photos et se blessa à la jambe. Il du rester 6 mois à l'hôpital. Noir et Bouchet furent interdit de séjour en RDA et à Berlin-Est jusqu'à la chute du mur. Un prix cher à payer mais en tout cas ce jour restera dans l'histoire de l'art comme "l'hommage à Marcel Duchamp sur le mur de Berlin".